Satan s'incarnant en Judas - Jésus passionnel et victimal face à lui ? 

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Désespoir et suicide de Judas - Il aurait encore pu être sauvé s’il s’était repenti.

EMV 605.2 - 

Effroyable réalisation de cette parole de saint Jean : "Alors, Satan entra en lui"

Je vois Judas. Il est seul. Il est vêtu de jaune clair avec un cordon rouge à la taille. Mon admoniteur intérieur m'avertit que c'est depuis peu qu'a été capturé Jésus et que Judas, qui s'est enfui tout de suite après, est maintenant en proie à un contraste de pensées. En effet l'Iscariote semble un fauve furieux et traqué par une meute de mâtins. Tout souffle de vent dans les feuillages, un bruit quelconque sur la route, l'écoulement d'une fontaine le font sursauter et se retourner soupçonneux et effrayé comme s'il se sentait rejoint par un justicier. Il tourne la tête en la gardant basse, le cou tordu, il tourne les yeux comme quelqu'un qui veut voir et a peur de voir. Si un jeu de lumière de la lune crée une ombre d'apparence humaine, il écarquille les yeux, fait un saut en arrière, devient encore plus livide qu'il ne l'était, s'arrête un instant et puis s'enfuit précipitamment en revenant sur ses pas, en se détournant par d'autres chemins jusqu'à ce qu'un autre bruit, un autre jeu de lumière le fait s'arrêter et s'enfuir dans une autre direction.

Dans sa folle marche il va ainsi vers l'intérieur de la ville, mais une clameur du peuple l'avertit qu'il est près de la maison de Caïphe, et alors, en se portant les mains à la tête et se penchant comme si ces cris étaient autant de pierres qui le lapident, il s'enfuit, s'enfuit. Et dans sa fuite, il prend une ruelle qui l'amène tout droit vers la maison où a été consommée la Cène. Il s'en aperçoit quand il est en face à cause d'une fontaine qui coule à cet endroit du chemin. Les pleurs de l'eau qui tombe goutte à goutte dans un petit bassin de pierre, et un faible sifflement du vent qui s'insinue dans le chemin étroit en produisant une lamentation étouffée, doivent lui sembler les pleurs de Celui qu'il a trahi et la plainte du Supplicié. Il se bouche les oreilles pour ne pas entendre et s'échappe, les yeux fermés, pour ne pas voir cette porte par laquelle peu d'heures avant il est passé avec le Maître et par laquelle il est sorti pour aller prendre les hommes armés pour se saisir de Lui.

Dans cette course aveugle il va heurter un chien errant, le premier chien que je vois depuis que j'ai les visions, un gros chien gris et hirsute qui s'écarte en grognant, prêt à s'élancer contre celui qui l'a dérangé. Judas ouvre les yeux et rencontre les pupilles phosphorescentes qui le fixent et il voit la blancheur des crocs découverts qui semblent produire un rire diabolique. Il pousse un cri de terreur.

Le chien, qui peut-être le prend pour un cri menaçant, se jette sur lui, et les deux roulent dans la poussière : Judas dessous, paralysé par la peur, le chien dessus. Quand la bête lâche sa proie, considérée peut-être comme indigne de la lutte, Judas saigne à cause de deux ou trois morsures et son manteau a de larges déchirures.

Il a été vraiment mordu à la joue, au point précis où il a baisé Jésus, La joue saigne et le sang souille au cou le vêtement jaunâtre de Judas. Le sang lui fait une sorte de collier, en imbibant le cordon rouge qui serre le vêtement au cou et il le rend plus rouge encore. Judas met la main à sa joue, il regarde le chien qui s'éloigne mais le guette dans l'ouverture d'une porte, il murmure : "Belzébuth !" et poussant de nouveau un cri, il s'enfuit, poursuivi par le chien pendant quelque temps.

Il fuit jusqu'au petit pont qui est près du Gethsémani. Là, soit fatigué de le suivre, soit que l'eau l'éloigné parce qu'il est hydrophobe, le chien abandonne sa proie et revient en arrière en grognant. Judas, qui s'était jeté dans le torrent pour prendre des pierres et les jeter au chien, le voyant s'éloigner, regarde autour de lui et s'aperçoit qu'il a de l'eau jusqu'à mi-mollet. Sans s'occuper de son vêtement de plus en plus trempé, il se penche sur l'eau et boit comme s'il était brûlé par la fièvre et il lave sa joue qui saigne et doit lui faire mal.

À la clarté d'un premier éveil de l'aube il remonte sur la berge, de l'autre côté comme s'il avait encore peur du chien et n'osait pas revenir vers la ville. Il fait quelques mètres et se trouve à l'entrée du Jardin des Oliviers. Il crie : "Non ! Non !" en reconnaissant l'endroit. Mais ensuite, je ne sais par quelle force irrésistible ou par quel sadisme satanique et criminel, il avance en cet endroit. Il cherche l'endroit où est arrivée la capture. La terre du sentier, foulée par de nombreux pieds, l'herbe piétinée en un point donné et du sang par terre, peut-être celui de Malchus, lui montrent que c'est là qu'il a indiqué l'Innocent aux bourreaux.

Il regarde, il regarde... et puis il pousse un cri rauque et fait un saut en arrière. Il crie : "Ce sang, ce sang !..." et il le montre... à qui ? avec son bras tendu et son index qu'il pointe. Dans la lumière croissante son visage se montre terreux et spectral. Il semble fou. Il a les yeux écarquillés et brillants comme s'il délirait; ses cheveux ébouriffés par la course et la terreur semblent dressés sur sa tête; la joue qui enfle lui tord la bouche en un rictus. Son vêtement déchiré, couvert de sang, mouillé, boueux, car la poussière en se mouillant est devenue de la boue, le rend semblable à un mendiant. Son manteau aussi déchiré et boueux pend d'une épaule comme une guenille et il s'y empêtre quand, continuant à crier : "Ce sang, ce sang !" il recule comme si ce sang était devenu une mer qui monte et submerge.

Judas tombe à la renverse et se blesse derrière la tête en heurtant une pierre. Il pousse un gémissement de douleur et de peur. "Qui est-ce ?" crie-t-il. Il doit avoir pensé que quelqu'un l'a fait tomber pour le frapper. Il se retourne avec terreur. Personne ! Il se lève. Maintenant le sang dégoutte aussi sur la nuque. Le cercle rouge s'élargit sur le vêtement. II ne tombe pas par terre car il y en a peu, le vêtement le boit. Maintenant la corde paraît déjà au cou.

Il marche. Il retrouve la trace du feu allumé par Pierre au pied d'un olivier, mais il ne sait pas que c'est Pierre qui l'a fait et croit que Jésus était là. Il crie : "Allez ! Allez !" et avec les deux mains tendues en avant, il paraît repousser un fantôme qui le tourmente. Il s'échappe et va finir justement contre le rocher de l'Agonie.

Maintenant l'aube est nette et permet de bien voir et tout de suite. Judas voit le manteau de Jésus laissé plié sur le rocher. Il le reconnaît. Il veut le toucher. Il a peur. Il allonge la main et la retire. Il veut. Il ne veut pas. Mais ce manteau le fascine. Il gémit : "Non ! Non !" Puis il dit :

"Oui, par Satan ! Oui, je veux le toucher. Je n'ai pas peur ! Je n'ai pas peur !"

Il dit qu'il n'a pas peur, mais la terreur lui fait claquer des dents, et le bruit que fait au-dessus de sa tête une branche d'olivier remuée par le vent et qui heurte un tronc voisin, le fait crier de nouveau. Pourtant il fait un effort et saisit le manteau. Et il rit. Un rire de fou, de démon. Un rire hystérique, saccadé, lugubre, qui n'en finit pas, car il a vaincu sa peur, et il le dit :

"Tu ne me fais pas peur, Christ. Plus peur. J'avais si grand peur de Toi car je te croyais Dieu et fort. Maintenant tu ne me fais plus peur, car tu n'es pas Dieu. Tu es un pauvre fou, un faible. Tu n'as pas su te défendre. Tu ne m'as pas réduit en cendres, comme tu n'as pas lu dans mon cœur la trahison. Mes peurs !... Quel sot ! Quand tu parlais, même hier soir, je croyais que tu savais. Tu ne savais rien. C'était ma peur qui donnait un sens prophétique à tes paroles toutes ordinaires. Tu n'es rien. Tu t'es laissé vendre, indiquer, prendre comme une souris dans son trou. Ta puissance ! Ton origine ! Ah ! Ah ! Ah ! Bouffon ! Le fort, c'est Satan ! Plus fort que Toi. Il t'a vaincu ! Ah ! Ah ! Ah ! Le Prophète ! Le Messie ! Le Roi d'Israël ! Et tu m'as assujetti pendant trois années ! Avec la peur toujours au cœur ! Et je devais mentir pour te tromper avec finesse quand je voulais jouir de la vie ! Mais même si j'avais volé et forniqué sans toute l'astuce que je mettais en œuvre, tu ne m'aurais rien fait. Poltron ! Fou ! Lâche ! Tiens ! Tiens ! Tiens ! J'ai eu tort de ne pas te faire à Toi ce que je fais à ton manteau pour me venger du temps où tu m'as tenu esclave par la peur. Peur d'un lapin !... Tiens ! Tiens ! Tiens !"

À chaque "tiens !" il cherche à mordre et à déchirer l'étoffe du manteau. Il le chiffonne dans ses mains. Mais en le faisant, il l'ouvre et apparaissent les taches qui l'humectent. La furie de Judas s'arrête. Il fixe ces taches. Il les touche, il les flaire. C'est du sang... Il le déplie. Elle est bien visible l'empreinte laissée par les deux mains tachées de sang quand il appuyait l'étoffe sur son visage.

"Ah !... Du sang ! Du sang ! Le sien... Non !"

Judas laisse tomber le manteau et regarde autour de lui. Contre le rocher aussi, là où Jésus s'est appuyé le dos quand l'ange le réconfortait, il y a une tache sombre de sang qui sèche.

"Là !... Là !... Du sang ! Du sang !..."

Il baisse les yeux pour ne pas voir, et il voit l'herbe toute rougie par le sang qui est tombé sur elle. Celui-ci, à cause de la rosée qui l'a dilué, paraît tombé depuis peu. Il est rouge et brille au premier soleil.

"Non ! Non ! Non ! Je ne veux pas voir ! Je ne puis voir ce sang ! Au secours !"

Il porte les mains à sa gorge et perd tout contrôle comme s'il se noyait dans une mer de sang.

"Arrière ! Arrière ! Laisse-moi ! Laisse-moi ! Maudit ! Mais ce sang, c'est une mer ! Il couvre la Terre ! La Terre ! La Terre ! Et sur la Terre il n'y a pas de place pour moi, car je ne puis voir ce sang qui la couvre. Je suis le Caïn de l'Innocent !"

L'idée du suicide, je crois qu'elle est venue en ce moment en ce cœur.

Le visage de Judas fait peur. Il se jette du talus et s'enfuit par l'oliveraie, sans revenir par la route déjà faite. Il semble poursuivi par des fauves. Il revient dans la ville. Il s'enveloppe comme il peut dans son manteau et cherche à couvrir sa blessure et son visage autant qu'il le peut.

Il se dirige vers le Temple. Mais pendant qu'il va dans cette direction, à un carrefour il se trouve en face des canailles qui traînent Jésus chez Pilate. Il ne peut se retirer car une autre foule le pousse dans le dos, en accourant pour voir. Et grand comme il est, il domine forcément et il voit. Et il rencontre le regard du Christ...

Les deux regards s'enlacent un moment.

Puis le Christ passe, lié, frappé, et Judas tombe à la renverse comme s'il s'évanouissait. La foule le piétine sans pitié, et il ne réagit pas. Il doit préférer être piétiné par tout un monde plutôt que de rencontrer ce regard.

Quand la meute déicide est passée avec le Martyr et que le chemin est libre, il se relève et court au Temple. Il bouscule et renverse presque un garde placé à la porte de l'enceinte. D'autres gardes arrivent pour interdire l'entrée au forcené, mais lui, comme un taureau furieux, les écarte tous. L'un d'eux, qui s'accroche après lui pour l'empêcher de pénétrer dans la salle du Sanhédrin où ils sont tous encore rassemblés pour discuter, est saisi à la gorge, étranglé et jeté, sinon mort certainement moribond, en bas des trois marches.

"Votre argent, maudits, je n'en veux pas" crie-t-il debout au milieu de la salle, à l'endroit où était avant Jésus.

On dirait un démon qui débouche de l'enfer. Ensanglanté, dépeigné, enflammé par le délire, la bave à la bouche, les mains comme des griffes, il crie et semble aboyer tant sa voix est perçante, rauque, hurlante.

"Votre argent, maudits, je n'en veux pas. Vous m'avez perdu. Vous m'avez fait commettre le plus grand péché. Comme vous, comme vous je suis maudit ! J'ai trahi le Sang innocent. Qu'ils retombent sur vous ce Sang et ma mort. Sur vous... Non ! Ah !..."

Judas voit le pavé baigné de sang.

"Même ici, même ici, il y a du sang ? Partout ! Partout il y a son sang ! Mais combien de sang a l'Agneau de Dieu pour en couvrir ainsi la Terre et ne pas en mourir ? Et c'est moi qui l'ai répandu ! À votre instigation. Maudits ! Maudits ! Maudits pour l'éternité ! Malédiction à ces murs ! Malédiction à ce Temple profané ! Malédiction au Pontife déicide ! Malédiction aux prêtres indignes, aux faux docteurs, aux pharisiens hypocrites, aux juifs cruels, aux scribes sournois ! Malédiction à moi ! À moi, malédiction ! À moi ! Prenez votre argent et qu'il vous étrangle l'âme dans la gorge, comme à moi la corde"

Et il jette la bourse à la figure de Caïphe et s'en va en poussant un cri alors que les pièces résonnent en s'éparpillant sur le sol après avoir frappé, en la faisant saigner, la bouche de Caïphe.

Personne n'ose le retenir.

Il sort. Il court à travers les chemins. Et fatalement il se trouve à rencontrer deux fois Jésus à l'aller et au retour de chez Hérode.

Il abandonne le centre de la ville pour prendre au hasard les ruelles les plus misérables et il finit de nouveau contre la maison du Cénacle. Elle est entièrement fermée, comme abandonnée.

Il s'arrête, la regarde.

"La Mère ! murmure-t-il. La Mère !..." Il reste indécis... "Moi aussi, j'ai une mère ! Et j'ai tué un fils à une mère !... Pourtant... je veux entrer... revoir cette pièce. Là, il n'y a pas de sang..."

Il donne un coup à la porte, un autre... un autre...

La maîtresse de maison vient ouvrir et entrouvre la porte, une fente... Et en voyant cet homme bouleversé, méconnaissable, elle jette un cri et essaie de refermer. Mais Judas, d'un coup d'épaule, l'ouvre toute grande et, renversant la femme effrayée, passe outre.

Il court vers la petite porte qui donne sur le Cénacle. Il l'ouvre. Il entre. Un beau soleil entre par les fenêtres grandes ouvertes. Judas pousse un soupir de soulagement. Il entre. Ici, tout est calme et silencieux. La vaisselle est encore comme on l'a laissée. On comprend que pour le moment, personne ne s'en est occupé. On pourrait croire qu'on va se mettre à table.

Judas va vers la table. Il regarde s'il y a du vin dans les amphores. Il y en a. Il boit avidement à l'amphore elle-même qu'il soulève à deux mains. Puis il se laisse tomber assis et appuie sa tête sur ses bras croisés sur la table. Il ne s'aperçoit pas qu'il est assis justement à la place de Jésus et qu'il a devant lui le calice qui a servi pour l'Eucharistie. Il s'arrête un moment jusqu'à ce que s'apaise l'essoufflement causé par sa longue course. Puis il lève la tête et voit le calice, et il reconnaît où il s'est assis.

Il se lève comme possédé. Mais le calice le fascine. Il y a encore au fond un peu de vin rouge et le soleil, en frappant le métal (qui paraît de l'argent) fait briller ce liquide.

"Du sang ! Du sang ! Du sang ici aussi ! Son Sang ! Son Sang !..." Faites cela en mémoire de Moi !... Prenez et buvez. Ceci est mon Sang... Le Sang du nouveau testament qui sera versé pour vous..." Ah ! Maudit que je suis ! Pour moi il ne peut plus être versé pour la rémission de mon péché. Je ne demande pas pardon car Lui ne peut me pardonner. Hors d'ici ! Hors d'ici ! Il n'y a plus d'endroit où le Caïn de Dieu puisse connaître le repos. À mort ! À mort !..."

Il sort. Il se trouve en face de Marie, debout à la porte de la pièce où Jésus l'a quittée. Elle, entendant du bruit, s'est montrée espérant peut-être voir Jean qui est absent depuis tant d'heures. Elle est pâle comme si elle avait perdu son sang. Elle a des yeux que la douleur rend encore plus semblables à ceux de son Fils. Judas rencontre ce regard qui le regarde avec la même connaissance affligée et consciente dont Jésus l'a regardé en route, et avec un "Oh !" effrayé il s'adosse au mur.

"Judas ! dit Marie, Judas, qu'es-tu venu faire ?"

Les paroles mêmes de Jésus, et dites avec un amour douloureux. Judas s'en souvient et pousse un cri.

"Judas, répète Marie, qu'as-tu fait ? À tant d'amour tu as répondu en trahissant ?"

La voix de Marie est une caresse tremblante.

Judas va s'échapper. Marie l'appelle d'une voix qui aurait dû convertir un démon.

"Judas ! Judas ! Arrête-toi ! Arrête-toi ! Écoute ! Je te le dis en son nom : repens-toi, Judas. Lui pardonne..."

Judas s'est enfui.

La voix de Marie, son aspect ont été le coup de grâce, ou plutôt de disgrâce car il résiste.

Il s'en va précipitamment. Il rencontre Jean qui accourt vers la maison pour prendre Marie. La sentence est prononcée. Jésus va aller au Calvaire. C'est le moment de conduire la Mère à son Fils.

Jean reconnaît Judas, bien qu'il reste bien peu du beau Judas d'il y a peu de temps.

"Toi ici ? lui dit Jean avec un dégoût visible. Toi ici ? Malédiction à toi, meurtrier du Fils de Dieu ! Le Maître est condamné. Réjouis-toi, si tu le peux, mais dégage le chemin. Je vais prendre la Mère. Qu'elle, ton autre Victime, ne te rencontre pas, reptile."

Judas s'enfuit. Il s'est enveloppé la tête dans les lambeaux de son manteau en laissant seulement une fente pour les yeux. Les gens, le peu de gens qui ne sont pas vers le Prétoire, l'évitent comme s'ils voyaient un fou. Et il semble tel.

Il erre à travers la campagne. Le vent apporte de temps à autre un écho de la clameur qui vient de la foule qui suit Jésus en Lui adressant des imprécations. Chaque fois qu'un pareil écho arrive à Judas, il hurle comme un chacal.

Je crois qu'il est réellement devenu fou car il cogne la tête rythmiquement contre les murets de pierre. Ou bien il est devenu hydrophobe parce que, quand il voit un liquide quelconque : eau, lait porté par un enfant dans un récipient, de l'huile qui coule d'une outre, il hurle, il hurle et crie :

"Du sang ! Du sang ! Son Sang !"

Il voudrait boire aux ruisseaux et aux fontaines. Il ne le peut car l'eau lui paraît du sang et il le dit :

"C'est du sang ! C'est du sang ! Il me noie ! Il me brûle ! J'ai le feu ! Son Sang, qu'il m'a donné hier, est devenu du feu en moi ! Malédiction à moi et à Toi !"

Il monte et descend les collines qui entourent Jérusalem. Et son œil, irrésistiblement, va au Golgotha. Et par deux fois il voit de loin le cortège qui monte en serpentant la côte, il regarde et pousse un cri.

Le voilà au sommet. Judas aussi est au sommet d'une petite colline couverte d'oliviers. Il y est pénétré en ouvrant une fermeture rustique comme s'il en était le maître ou pour le moins très habitué. J'ai l'impression que Judas ne se souciait pas beaucoup de la propriété d'autrui. Debout sous un olivier à l'extrémité d'un talus, il regarde vers le Golgotha. Il voit se dresser les croix et il comprend que Jésus est crucifié. Il ne peut voir ou entendre, mais le délire ou un maléfice de Satan lui font voir et entendre comme s'il était au sommet du Calvaire.

Il regarde, regarde comme halluciné. Il se débat :

"Non ! Non ! Ne me regarde pas ! Ne me parle pas ! Je ne le supporte pas. Meurs, meurs, maudit ! Que la mort ferme ces yeux qui me font peur, cette bouche qui me maudit. Mais moi aussi je te maudis puisque tu ne m'as pas sauvé."

Son visage est tellement hagard, qu'on ne peut le regarder. Deux filets de bave descendent de sa bouche hurlante. La joue mordue est livide et enflée et fait paraître son visage déformé. Les cheveux collés, sa barbe très noire qui a poussé sur ses joues en ces heures, mettent un bâillon lugubre sur ses joues et son menton. Les yeux, ensuite !... Ils roulent, ils louchent, ils sont phosphorescents. Des yeux de démon.

Il arrache de sa taille le cordon de grosse laine rouge qui la ceint de trois tours. Il en éprouve la solidité en l'enroulant autour d'un olivier et en tirant de toutes ses forces. Il résiste. Il est solide.

Il choisit un olivier qui se prête à ce qu'il veut faire. Voilà. Celui qui penche au-delà du talus, avec sa chevelure en désordre, va bien. Il monte sur l'arbre. Il assure solidement un nœud coulant à une branche des plus robustes et qui pend sur le vide. Il a déjà fait le nœud coulant. Il regarde une dernière fois vers le Golgotha, puis il enfile la tête dans le nœud coulant. Maintenant il paraît avoir deux colliers rouges à la base du cou. Il s'assoit sur le talus puis d'un coup se laisse glisser dans le vide.

Le nœud le serre. Il se débat quelques minutes. Ses yeux chavirent, l'asphyxie le rend noir, il ouvre la bouche, les veines du cou se gonflent et deviennent noires. Il envoie quatre ou cinq coups de pieds dans l'air, dans les dernières convulsions. Puis la bouche s'ouvre et la langue pend noire et baveuse, les globes oculaires ouverts sortent de la tête montrant le blanc de l'œil injecté de sang, l'iris disparaît vers le haut. Il est mort. Le vent fort, qui s'est levé avant l'orage imminent, balance le macabre pendule et le fait tourner comme une horrible araignée suspendue au fil de sa toile.

La vision finit et j'espère arriver à oublier bientôt tout ceci car je vous assure que c'est une vision horrible.



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---> Cette évolution de Judas qui se transforme en Satan incarné ne demande que très peu de commentaire. Le reste serait superflu.

---> DGC nous laisse entendre que selon son « exégèse », Satan ne serait pas encore entré en Judas avant de recevoir la bouchée de la main de Jésus, ce qui nous conduirait à penser de lui qu'il fut probablement jusqu’au jour de la Passion un homme plutôt convenable, à qui il arrivait de voler - mais qui donc est sans péché ! - et sans aucune méchanceté spéciale ni perversion du coeur : il aurait été finalement quelqu’un d'assez normal, dans la moyenne, et somme toute très excusable, mais avec une bien fâcheuse destinée ! "Vraiment pas de chance pour lui !", aurait-on envie de dire...

---> Mais l’Évangile, malgré son caractère si succinct, nous laisse entendre tout le contraire de cette fausse exégèse dégécienne :


---> En effet, si Judas était voleur malgré la présence infiniment sanctifiante de Jésus, et malgré ses enseignements plus doux que le miel, d’une puissance capable de convertir même les pierres, c’est que Satan lui-même était avec lui pour le faire résister de toutes ses forces au Bien, pour l’inciter à se séparer de Dieu. 

 

---> Sa perte ne fut donc pas du tout un "manque de chance", mais une perversion préméditée, désirée par lui, entretenue et décuplée jusqu'au point de non retour, avec toute l'aide de l'enfer qu'il rechercha activement, en se livrant à l'intégralité des vices. Tout cela est on ne peut mieux décrit dans l'oeuvre, sans fauter contre la pudeur cependant.



3 ) La perte de Judas fut la plus grande douleur du Christ, aux dires même des plus grands saints catholiques : on ne va pas ensuite s’étonner qu’elle ait pu provoquer une telle abondance de combats spirituels, de tourments et de larmes pour Lui. Restons un minimum cohérents.

---> si Judas, lors du repas chez Simon le pharisien, se permit de critiquer publiquement ce que Jésus acceptait pourtant comme une preuve d’amour et de repentir de la part d’une ancienne pécheresse ( Jean 12,3 ), c’était que son cœur était insensible à l’Amour et au repentir, et rempli par l'amour du lucre, c’est-à-dire par tous les vices sans en excepter aucun.



 

---> ce fait est certes décrit d’une manière voilée dans l’Évangile - par soucis de concision - mais nous laisse deviner que Judas était en fait totalement étranger à l’Amour.


---> S’il en était différemment, alors saint Jean aurait du le dire pour contrebalancer la très mauvaise opinion qu’il suscite en nous au sujet de Judas : or il ne le fait nul part.

--->  Tout est souvent dit dans l'Evangile en un seul mot. Un seul adjectif y est un monde à lui tout seul : « Joseph était un homme juste » ( Matt 1,19 )

---> et de même : « Judas disait cela, non par souci des pauvres, mais parce que c'était un voleur et que, tenant la bourse, il dérobait ce qu'on y mettait » ( Jean 12,6 )

 

---> C’était donc également un menteur. Tout est dit ici également en une phrase, et encore d’avantage en celle-ci : « Jésus leur dit : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze ? Et l’un de vous est un diable ! » ( Jean 6,70 )

---> Comment donc Satan n’était-il pas déjà entré en celui que Jésus décrit comme « un diable » ?

 

 

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